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Crottes de chien et champs voisins

il y a trop de brun dans le verts

Les crottes de chiens fleurissent abondamment dans les champs, au détriment des  propriétaires à deux et quatre pattes de l’herbe. L’envoyée spéciale du Pavé est allée mettre le nez et le doigts dessus. Armée d’un « sac à crottes » évidemment !

C’est un sujet de doléances lancinant et récurent dans nos campagnes : les agriculteurs sont excédés par le pullulement des crottes de chiens. Au cours des six derniers mois, ce thème est arrivé trois fois dans les oreilles de la rédaction. De toute évidence, c’est un sujet sensible, qui énerve. Qu’y a-t-il derrière ?

Du côté du Service de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (SAAV), on rappelle le cadre légal (cf. encadré), qui impose aux détenteurs de chiens de ramasser les crottes. Non pas par amour immodéré du propre en ordre helvétique, mais parce que toute crotte abandonnée cause un vrai problème.

Le canin a la cote

Laurence Gavillet, vétérinaire à Esmonts, est au carrefour de la problématique : elle côtoie au quotidien, depuis fort longtemps, à la fois les propriétaires de chiens et les paysans. Elle maîtrise à fond le sujet, sans une once de frémissement face à l’aspect mal odorant et peu ragoutant de la chose.

Tout d’abord, elle confirme la réalité du problème et son ampleur. Pour des raisons purement mathématiques, il est étroitement lié à l’augmentation du nombre de chiens. Il y a davantage de ménages avec un chien que par le passé et la population humaine a aussi augmenté.  En 1990, il y avait 16’241 habitants en Glâne. En 2021, nous étions un peu plus de 25’000 (source : annuaire statistique du canton de Fribourg). Selon Amicus (la banque de données pour l’enregistrement des chiens), il y a dans le canton de Fribourg presque autant de chiens (24’000 environ fin 2023) que de Glânois. Cela fait beaucoup de villas avec un chien dans le jardin, au milieu de la verte campagne.

Ensuite, il faut tenir compte du fait qu’un chien fait 2 à 3 crottes par jour. Et que l’exercice qui consiste à les ramasser n’est pas des plus agréable, même quand on aime beaucoup son toutou. Quand la consistance de la déjection se ramollit de surcroît, cela devient mission impossible. Laurence Gavillet caricature à dessein, en mimant certains propriétaires qui promènent leur chien en regardant leur téléphone. Forcément, ils ne voient pas (ou feignent d’ignorer) que Médor a déposé une crotte. Ou alors, ils lâchent leur compagnon (qui a naturellement besoin de se défouler) qui fait sa grosse commission dans un endroit impossible à retrouver ultérieurement.

Par méconnaissance, le commun des mortels est tenté de penser que ce n’est « que de l’herbe ». Faux : c’est la nourriture des vaches. Et les vaches sont comme vous et moi : elles n’aiment pas manger du caca et n’aiment pas son odeur. Résultat : partout où une crotte est déposée, les vaches refusent de manger l’herbe. Cela fait un cercle d’herbe perdue autour de chaque crotte négligée. Durant la fenaison, les crottes parfument le foin, qui sera aussi boudé par les vaches. Une seule déjection peut rendre inutilisable toute une balle. Cela occasionne donc un authentique gaspillage. Du fait du régime alimentaire du chien, ses crottes sont très compactes et se décomposent très, très lentement. Ce qui prolonge d’autant la durée de la nuisance.

Vecteur de maladie

Comme si cela ne suffisait pas, les crottes dans l’herbe présentent également un risque de contamination par un parasite nommé Neospora. Le chien peut en être porteur, comme le coyote et le loup (plus rares, par ici, c’est vrai). Le renard en revanche n’est pas en cause. Un chien atteint rejette dans ses crottes des zookystes, qui peuvent rester longtemps dans la terre et contaminer une vache ultérieurement. Chez la vache, la maladie induite, appelée néosporose, provoque notamment des avortements. Si la vache n’avorte pas, le veau peut naître bien chétif. Mais la maladie évolue aussi silencieusement, se transmettant de la mère à la génération suivante et ainsi de suite, jusqu’au jour où le problème se révèle. La grande majorité des contaminations se font ainsi de manière verticale. Dans 10% des cas, le chien est en cause (transmission horizontale). Si l’infection n’est pas repérée, elle engendre une transmission verticale.  Dans le canton de Fribourg, des tests sont pratiqués systématiquement en cas d’avortement bovins. Mais le « kit » standard d’analyses prévu par le protocole n’inclut pas la recherche de Neospora. Celle-ci est « traquée » seulement en présence d’avortements à répétition dans une exploitation. Le SAAV confirme recevoir de temps en temps des résultats d’analyses positives. La maladie est donc présente chez nous.

Ultime sujet de fâcheries : quand l’herbe est haute, les promenades à travers champs ont pour effet de piétiner l’herbe. Pour peu que le chien ait couru tous azimuts pour rapporter le bâton et il n’y a plus rien à brouter ou à faucher !

Espèces menacées

Il y a de moins en moins d’agriculteurs en Suisse (500 exploitations disparaissent chaque année en moyenne), mais les problèmes auxquels ils sont confrontés se multiplient et s’accentuent. Les crottes de chiens constituent une source supplémentaire d’ennuis, une « cerise sur le gâteau » dont ils n’ont surtout pas besoin. Le respect est hélas aussi une espèce en voie d’extinction. Vis-à-vis du travail des paysans et de leur terre. Et d’une façon plus générale. C’est un mal de nos sociétés contemporaines. Mais nous sommes tous équipés d’un sachet de graines à replanter régulièrement.

Marinette

Extraits de la loi cantonale sur la détention des chiens:

Art. 37 Salubrité publique
1 Le détenteur ou la détentrice empêche son chien de salir le domaine public et de souiller les cultures et les pâturages. Il lui incombe de ramasser les déjections de son animal.

Art. 38 Impact sur les cultures, les animaux de rente, les animaux de compagnie, la faune et l’environnement
1 Le détenteur ou la détentrice veille à ce que son chien ne porte pas préjudice aux exploitations agricoles, aux animaux de rente, aux animaux de compagnie ou à la faune et à la flore sauvages