De l’origine du nom
Rue avec un grand R
A la fin de l’épisode II de notre saga sur l’histoire de Rue, nous parlions de notre héritage burgonde — à savoir la prononciation des noms de nos villages se terminant par « -ens » — et commencions à nous pencher sur l’origine du nom de notre commune.
Suite de l’Histoire de Rue, avec un grand H.
Développement de Castrum Rota
En romain, Castrum signifie « camp retranché » ou « camp fortifié » et Rota signifie « de forme ronde ». En Celte Gallois, Rote, ou Rod, signifie « défrichement ». Rota ou Rotta désigne également un instrument médiéval ecclésiastique à cinq cordes.
En 1011, Rodolphe III et la famille de Savoie Amédée V nomment ce lieu « Castrum Rouda » (qui signifie « roue » en Romanche) ou Castrum Rota. Ensuite, selon les langues et les différentes migrations, Rue s’appelle « Ruwa » en patois fribourgeois (français provençal), ou « Ruw » en haut allemand. En néerlandais et en flamand, « ruw » signifie rude, rugueux, brut. Puis, Rue aura comme appellation « Castrum Ruga », « ruga » signifiant voie de communication.
Selon les annales fribourgeoises de 1950, il y a confusion dans les formes du patois Rua (=Rüe) et le village de Riaz (=Rya). Rue était dénommée « Rota » en 1155, 1161 et 1162. Le village de Riaz, lui, était dénommé « Roda » en 900 apr. J.-C., « Rode » vers l’an 1000, puis « Rota » en 1200 et 1330. Le village de Riaz était désigné « Rotavilla » en 1293, 1330, 1377, 1379. Selon une chartre de 1221, « Rua » la Villa s’appliquait à Rue, puis devint « Roa » en 1237. Finalement, les habitants de Rue s’appellent les Rotavilliens, mais ils auraient tout aussi bien pu se nommer les « Ruavilliens ». Si roue se dit « Ruwa » à Semsâles, « Rua » à Sugiez, Ruva à Arconciel, Avry-sur-Matran, Courtepin, Dompierre et Murist, il se dit « Rya » à Montbovon, et devient le nom définitif du village de Riaz. Les termes liés à Rue signifient « en forme ronde ». Le blason du village de Riaz comporte lui aussi une roue, mais en patois gruyérien, ce nom signifie « roue qui avance ». Et, contrairement à notre ville de Rue, Riaz n’a pas le fondement de son blason par ses familles fondatrices.
Ville de péage
Au XIII siècle, le camp fortifié sur la route romaine « Castrum Rota » est estampillé ville Rota Villa par les comtes de Savoie. Castrum Rota reçoit alors le droit de prélever un péage, des franchises et des coutumes, ainsi que des dîmes pour toutes les marchandises et chars transitant via la route romaine en provenance d’Italie par le Grand-Saint-Bernard, en passant par Vevey, Jongny, Lausanne, et traversant Promasens, Rue, Moudon et se déployant jusqu’en Haute Broye. La ville est fortifiée d’abord par la porte d’Ursy et la porte de Romont, puis celle de Fribourg au nord-est, puis encore par la porte de Moudon, la porte d’Oron et finalement celle de Lausanne au sud-ouest. Au carrefour de l’époque, le péage est un passage obligé. Selon les comptes de la Chapellenie, conservés à la bibliothèque royale de Turin, une troisième porte, avec pont levis, contrôlait l’entrée de Rue vers la Chapellenie. Toutes ces portes ont été détruites peu avant 1849.
On peut relever que l’Empereur Claude — Tiberius Claudius Drusus (-10 av. J.-C – 54 apr. J.-C.) — rend carrossable le col du Grand St Bernard, appelé à l’époque « Mont de Jupiter » et favorise ainsi la conquête de l’Europe. A ce jour, 80% des routes et chemins actuels sont des moyens de communication celtiques que les romains ont rendu carrossables. Vers – 58 av. J.-C., l’empereur Jules César reconnaît le territoire des Helvètes (le plateau, le Jura et les Préalpes) en qualité de Confédération Helvétique. Il lui donne la liberté, mais celle-ci doit tout de même obéissance à Rome.
Vers l’an 400 apr. J.-C., les marchandises transitent par Rue et sa route romaine jusqu’à Vevey. Les fromages venant de la Gruyères et du Pays d’En-Haut passent à Châtel-St-Denis par le col de Jaman, pour descendre ensuite au port de Vevey. Une autre route passe par Bulle, Rueyres-Treyfayes, Porsel, Vauderens, Rue (par le chemin des Fourches et des Augustins), puis transite par Promasens, Oron, Jongny et rejoint également Vevey. Une troisième voie traverse Rue et se dirige vers Moudon, Fribourg, Berne et continue ainsi, traversant une partie de la Suisse.
Le mot « gruyère » vient de l’ancien haut-allemand qui signifie vert, forêt. En ancien français, « Gruière » désigne une « forêt soumise à la juridiction du gruier ou juge gruier » (dit aussi verdier, garde forestier ou garde-chasse). Ce n’est qu’en 1115 que le fromage est appelé Gruyère, du nom de la région et du mode de fabrication. En 1655, le mot «gruyère» est reconnu officiellement comme appellation pour désigner un fromage. En 1762, l’Académie Française ajoute le mot gruyère dans son dictionnaire. La région de la Glâne fabrique elle aussi du gruyère. En effet, à l’époque, les vachers-armaillis, en changeant d’alpage, transmettent leur savoir-faire dans le Pays d’En-Haut, jusqu’en Franche-Comté, dans le Jura et en Haute Savoie.
Ces fromages sont chargés au port de Vevey sur des bateaux qui naviguent jusqu’à Genève. De cette ville, ils sont affrétés sur des chars à destination de Seyssel (France) pour être ensuite arrimés sur des bateaux descendant le Rhône et rejoignant, entre autres, Marseille.
Au musée historique de Vevey est exposé un dessin aquarellé anonyme représentant le port de Vevey. Les fromages Gruyères et autres marchandises y étaient chargés sur des bateaux, vers 1820.
Roger Perriard / Virginie Barrelet