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Igor Nicholas Cloutier Ustinov

Sculpteur d’avenir

Enfant d’une famille d’artistes, sa mère Suzanne Cloutier est une mannequin d’origine canadienne, qui deviendra comédienne et productrice de films, dont « Hair ». Son illustre père, l’écrivain et acteur britannique Peter Ustinov, incontournable dans la filmographie des années 1950 à 2000, est également metteur en scène de pièces de théâtre et producteur de films. Avec eux, il mène la vie de bohème jusque vers ses 15 ans, parcourant le monde au gré des tournages de ses parents.

Après des années collège passées dans la région lémanique, le jeune homme s’en va à Paris faire des études de biologie, qu’il complétera par un brevet de conservatoire en chant lyrique. L’artiste est inspiré et décide de s’ancrer dans la matière en devenant sculpteur.

Ce descendant d’une noblesse russe déracinée a résolument choisi de déposer ses valises en Suisse à la mort de son père, en 2004. Celui-ci était établi à Bursins. Après la dénonciation d’un accord pour l’acquisition d’une propriété dans la région morgienne, il découvrira les plans de sa future maison, au pied du Château de Rue. Il tombera amoureux de l’implantation et du voisinage : lumière et coucher de soleil imprenables garantis.

À près de 67 ans, le sculpteur d’origine britannique a déjà une carrière bien établie. Ses œuvres sont exposées dans les musées de plusieurs pays et se vendent des milliers de francs. La Commune de Neyruz a du reste récemment égayé sa place de la gare par un de ses anges.

Artiste engagé

Quel souffle a bien pu transformer le sculpteur de renom en un start-upper inspiré ? La réponse à cette question renvoie à l’engagement de son père, ambassadeur de bonne volonté auprès de l’Unicef dès la fin des années 1960. Ce dernier y œuvrera pendant 37 ans. Igor se souvient de la réunification de la famille lors des grands galas annuels organisés pour la recherche de fonds, ses trois sœurs étant éparpillées dans différentes écoles, pour représenter une famille modèle pour le public et les médias. Cette cause tenait cependant vraiment une grande place dans le cœur de son paternel et sur son lit de mort, Igor s’est fait la promesse de poursuivre son engagement auprès des enfants dans le cadre de la fondation qu’ils avaient ensemble mis sur pied, la Sir Peter Ustinov Foundation. En visitant un des projets financés par celle-ci, dans la région du Cachemire, en Inde, Igor a le déclic.

La fondation, qui fêtera ses 25 ans, a vécu des dons des anciens fans de l’acteur avant d’élargir sa base de soutien grâce à ses résultats. Elle finance des projets dans le domaine de l’éducation et de la construction d’écoles. « C’est dans mon rôle de directeur de la fondation, que j’ai eu l’idée de construire des espaces de jeu pour les enfants. Et comme il restait tellement de plastique, jeté dans la rue, j’ai pensé que ce serait une bonne idée d’utiliser ce matériau pour construire des maisons », raconte Igor Ustinov.

À 59 ans, en 2017, il recevait le Prix de l’innovation pour le développement d’un matériau de construction révolutionnaire à partir de PET recyclé. Il entrait alors dans une nouvelle vie.

Faute de temps, il délaisse son activité de sculpteur pour celle de chef d’entreprise. Il fonde avec un ami ingénieur UHCS (Ustinov Hauss Construction System) Property SA, inscrite au registre du commerce le 2 mars 2020. La société, qui a son siège à Rue, a pour but de rechercher, développer, protéger, détenir et exploiter, notamment sous forme de licences et franchises, des brevets, marques et autres droits de propriété intellectuelle portant sur des systèmes de collecte, de recyclage et de construction modulaire utilisant des matières plastiques telles que le PET, matières composites et autres matières, afin de revaloriser les déchets et promouvoir une économie circulaire. Un des administrateurs est un conseiller financier connu dans le monde des start-ups fribourgeoises, cheville ouvrière de Bluefactory entre autres.

Sur les 320 millions de tonnes produites chaque année – dont seulement 9% sont recyclées –, plus de huit millions finissent dans les océans de la planète. Et cette tendance actuelle n’est pas près de s’inverser. Cette pollution atteint les organismes vivants, humains.

« L’idée est simple : fabriquer, à partir de plastique recyclé de bouteilles en PET ou en PEF, de polymères non biodégradables, des profilés de construction standardisés comme des poutres et des briques qui s’assemblent comme des Lego. Ensuite, ces structures reçoivent l’isolation ou le remplissage qui peut aussi être en terre ou en tout autre matériau », explique l’habitant de Rue. Il souligne que, grâce à la composition du matériau, les maisons sont entièrement recyclables. Le concept structurel repose sur des cubes modulaires, qui peuvent être combinés pour construire des maisons ou même des bâtiments de huit étages.

Avec son associé, après quatre ans de recherches ils aboutissement enfin à un concept de maison en plastique recyclé. Finalement, ils ont déposé quatre brevets. La technologie est validée par un bureau d’ingénieurs, puis par le Laboratoire fédéral suisse des matériaux (EMPA), et enfin certifiée par l’Institut pour l’ingénierie des matériaux et la transformation des matières plastiques (IWK).

Bon pour l’économie locale

L’utilisation de plastique recyclé permettra d’économiser les ressources naturelles employées dans la construction traditionnelle comme le bois ou le sable, « qui commence aujourd’hui à se faire rare dans le monde entier », explique Igor Ustinov. En outre, ajoute-t-il, les modules du système UHCS peuvent s’adapter aux architectures et aux matériaux de finition locaux tels que la terre, le bois, la pierre. Car seule la structure portante de la maison est en PET et/ou en PEF.

Ces maisons seront-elles réservées aux populations à faibles revenus ? Igor Ustinov relativise : « Nous ne pouvons pas encore formuler un prix précis parce que nous n’en avons pas encore construit et que ce prix dépendra aussi des économies locales. Mais nous estimons que ces maisons seront beaucoup moins chères que les maisons conventionnelles ». La start-up veut diffuser sa technologie aux entreprises locales dans un partenariat coopératif, où le système de construction UHCS pourra être produit localement, sous franchise. Les deux amis cherchent donc des investisseurs locaux. « Nous sommes ouverts aux propositions provenant de n’importe où dans le monde ».

Il suffit de penser aux catastrophes naturelles récentes pour déceler l’intérêt dans ce nouveau genre de produits. Depuis 2020, des sociétés sœurs ont vu le jour permettant d’affiner le concept. De la production issue de matériaux recyclés à partir de PET, il développe des systèmes de construction modulaire qui pourraient être fort utile dans des zones sinistrées.

Du reste, Igor nous a indiqué devoir se déplacer à l’étranger durant la prochaine quinzaine pour présenter son projet. Sculpteur de déchets, un métier d’avenir ?

Nathalie Defferard Crausaz