Sélectionner une page

Marcel Dorthe

Le pastel en point d’orgue

Lorsque Marcel Dorthe naît à Gillarens en 1950, ce cadet de trois enfants et fils d’agriculteur semble avoir son parcours tout tracé. Mais c’est sans compter le don qui l’habite. Quand l’art est une évidence, le destin s’adapte.

Enfant, le dessin fait déjà partie de sa vie : il aime créer de ses mains. Un instituteur détecte son talent et permet à Marcel de le comprendre. Vers 10 ans, il a un flash en voyant un peintre devant son chevalet : « C’est ça que je veux faire ! » Outre la difficulté de trouver du matériel, les moyens financiers permettent difficilement d’en acheter et pour l’époque, il reste impensable d’en faire son métier. Il suit donc les traditions et en sortant de l’école obligatoire, intègre l’école d’agriculture pour ensuite reprendre la ferme familiale. Le dessin est cependant toujours présent et l’envie de le montrer aux autres se fait sentir. Il se lance dans les poyas, mieux admises dans le monde agricole, et offre certains de ses tableaux en cadeau de mariage ou d’anniversaire. Il découvre le pastel et réalise toute une série de peintures sur Rue, ainsi que des portraits.

Pour assouvir son autre passion, la musique, il étudie en parallèle au Conservatoire durant 8 ans. Il apprend la composition, l’orchestration et à jouer de l’orgue. Il devient organiste mais restera amateur : devenir professionnel l’obligerait à arrêter de travailler de ses mains. Il dirige différents chœurs de la région et écrit des messes, chants ou œuvres musicales qui seront parfois chantés par les chœurs qu’il dirige. Beaucoup de ses partitions sont encore inexploitées dans des cartons, avec l’envie peut-être un jour de les éditer.

A 34 ans, sans y croire, il montre ses tableaux à la galerie de Chavannes-sur-Moudon. Ils lui proposent de faire une exposition avec un artiste plus connu que lui et celle-ci rencontre un énorme succès : les gens sont touchés par son talent. Il a acquis de la technique avec les poyas, puis les oiseaux : il a cette faculté de donner vie à la peinture. Les demandes d’expositions affluent. Il se démène pour continuer son art tout en gérant la ferme. Sa femme Marianne et ses enfants l’aident dans toutes ses démarches et le soutiennent énormément et, aujourd’hui encore, il considère sa chance. A 55 ans, il remet la ferme et achète la Chapellenie de Rue, son lieu de vie et d’exposition actuel. Il continue tout de même à aller travailler matin et soir sur l’exploitation, ceci jusqu’à 67 ans !

Marcel peint, sculpte, crée des vitraux ou des œuvres sacrées. Il a mis au point une technique originale, « le pastel cristallisé permanent », lui évitant de mettre ses tableaux sous verre. Cette technique réside dans toute une alchimie de matières, de températures et d’humidité différentes pour chaque tableau. Il est le seul pour le moment à la dompter, après des heures et des heures d’essais et de réflexions. Il faut parfois 14 couches sur un tableau pour avoir le résultat voulu.

Marcel est un passionné, humble et captivant : « La durée de réalisation varie beaucoup d’un tableau à l’autre. Le plus long, par exemple, est de dessiner un arbre. Cela prend le même temps que tout ce qu’il y a autour. Je travaille sur plusieurs tableaux en parallèle car il y a les périodes de séchage à respecter. J’ai aussi besoin de me laisser un peu de lenteur car je ne me rends pas tout de suite compte de la finalité. Mon arbre n’a parfois pas l’énergie suffisante, je dois l’améliorer. »

Il a également réalisé des vitraux pour l’église de Chapelle ou pour la chapelle St-Joseph de Blessens ou le tabernacle de la Chapelle Notre-Dame-du-Bois à Villaraboud. « Je suis avant tout peintre mais tout rêve de peintre est de sculpter pour pouvoir atteindre la 3D. J’ai eu plusieurs défis à réaliser, comme l’autel de l’église de Châtel-St-Denis. Je doute parfois, en me demandant ce que je pourrais bien apporter. Mais, d’un coup, j’ai un flash et j’ai toujours un petit carnet avec moi pour dessiner n’importe où, n’importe quand, par exemple sur des tables de bistrots, après une balade. J’aime dessiner dans le bruit. Ces dessins sont très précis : je note les couleurs, tous les détails. La nature m’inspire, je regarde les jeux de lumière à travers les arbres, les levers ou couchers de soleil. »

Il a toujours aimé Rue – sa maman en est originaire – et particulièrement
La Chapellenie, « par les énergies qui en émanent ». Avant d’imaginer pouvoir y vivre, il venait s’y promener. Quand cette bâtisse a été mise en vente, Marcel et Marianne en deviennent propriétaires, avec un but certain : en faire profiter les autres. Les portes de la maison s’ouvrent ainsi au public le temps de ses expositions (la dernière a eu lieu en octobre 2023 et en raison d’Art Forum en 2024, la prochaine sera en 2025 pour ses 75 ans). Le couple organise aussi volontiers des visites guidées sur demande. Le jardin de la maison, appelé Jardin Fantastique, est ouvert en permanence. Chacun est libre de se balader dans cet endroit paisible, gardé par les sculptures de Marcel et bercé par le son des carillons ou le chant des oiseaux. Marcel Dorthe crée par vocation et, surtout, pour les autres. Il vit son art et ne réfléchit pas quand il crée. Il termine en disant : « J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours artistique et je dis merci pour ça ! Je donne parce que j’ai aussi beaucoup reçu. »

Pour son équilibre, il a besoin de jouer de l’orgue pratiquement tous les jours. D’ailleurs, si vous vous baladez vers l’église de Rue, il se pourrait bien que vous l’entendiez. N’hésitez pas à pousser la porte, Marcel partage volontiers sa musique.

Sophie Bosson

 Infos:
www.marcel-dorthe.ch
La Chapellenie et le jardin fantastique : Escaliers du Centre 1, 1673 Rue