
Louis Hassler
ne jamais dire jamais
Il était syndic de Blessens lors de la première fusion avec Rue en 1993. Rencontre avec Louis Hassler, que rien ne prédestinait à la politique et qui n’était pas censé devenir propriétaire du domaine qui abrite aujourd’hui quatre générations sous un même toit.


Pour se rendre à St-Joseph, on emprunte tout naturellement la route de Compostelle. Ce qui est nettement moins logique, c’est qu’au départ de Promasens, il faut passer par Chapelle pour se rendre… à Blessens ! Aucune route de Blessens ne mène au havre de paix de la famille Hassler, perché aux confins de la commune, à la limite de la Veveyse. Mon vieux GPS en perd la boule : il m’affirme tranquillement que je suis à St-Joseph 7, à 1673 Rue.
En arrivant devant la ferme, le visiteur fait d’emblée connaissance avec la plus jeune habitante des lieux : un joyeux panneau de bois coloré proclame fièrement qu’elle se prénomme Mathilde et qu’elle a vu le jour le 30 octobre 2023.
À la table de la cuisine, Alexis, le grand frère de Mathilde, est très occupé à charger un veau en plastique dans une bétaillère. L’aspirant armailli n’est pas bien haut, mais d’ores et déjà incollable sur les marques de tracteurs.
Le calme, la paix mais pas de confort
En 1936, le grand-père de Louis se voit contraint de quitter sa ferme de Semsales avec son bétail. Il trouve à louer la ferme à St-Joseph, qui était propriété de la famille de Maillardoz « comme à peu près tout Rue et la moitié du canton ». Louis, lui, grandit à Chesalles-sur-Oron. Il se souvient de ses vacances à St-Joseph, quand il était gamin, et précise : « J’étais le seul à aimer le coin. Je n’aurais cependant jamais pensé pouvoir l’exploiter, jamais pensé pouvoir l’acheter et jamais pensé pouvoir transformer la maison ! » Seulement voilà, son cousin – qui devait succéder à son oncle, qui avait succédé au grand-père – a finalement renoncé à reprendre St-Joseph. Si bien qu’en 1975, Louis et son épouse Véronique s’installent à Blessens, avec une bonne dose de courage, de volonté et de foi en l’avenir. Les conditions étaient spartiates : la salle de bains consistait en une cabane au-dessus de la fosse à purin.
« Pour te dire : je n’allais même pas voter ! »
Une dizaine d’années plus tard, un dimanche après-midi, le téléphone sonne chez Louis : « C’était Firmin Favre, secrétaire communal à Blessens, qui m’annonçait que j’étais élu au Conseil communal ! » Lui qui n’allait même pas voter ! À l’époque, Blessens était dans une situation financière inextricable. Les charges liées pesaient sur un modeste budget, l’entretien des routes – ravinées à chaque orage – étaient un casse-tête et leur goudronnage hors de portée des maigres moyens communaux. La fusion de 1993 et ses 3 millions de subsides ont tout changé. « Dès l’année suivante, les routes ont été goudronnées, l’eau et l’épuration sont arrivées dans les maisons et les lignes électriques et téléphoniques mises en sous-terrain ». Dans l’intervalle, les urnes avaient réservé une autre surprise à Louis. Il avait accepté d’être candidat au Grand Conseil, pour amener des voix aux têtes de liste. « J’ai dit oui, certain que cela ne m’engageait à rien. Après avoir signé, j’ai quand même demandé pour quel parti c’était. Louis Dumas m’a répondu : « L’UDC ». « Ah ? L’Union Démocratique Chrétienne ? » « Non : du Centre ! » Et boum ! J’ai été élu, par les soldats du train et les fusillés du régiment 7, car j’étais officier à l’armée. »
Louis Hassler est d’ailleurs reconnaissant envers l’armée suisse « qui permet à un agriculteur de grader et donne une bonne formation à ses officiers. Ce qu’on apprend et l’expérience sous les drapeaux sont très utiles dans la vie civile. »
Après avoir siégé à l’exécutif de Blessens et de Rue, puis au législatif cantonal, Louis Hassler a aussi pu goûter au tout nouveau législatif communal, lors de l’instauration du Conseil général en 2001. Il a aussi été un grand artisan du remaniement parcellaire pour Gillarens et Promasens. Durant tous ses mandats, il souligne que le fait de vivre un peu à l’écart « en dehors de toute histoire » a été un immense avantage.
Quand on lui demande ce qu’il retient, 30 ans après la première fusion, il constate d’emblée très tranquillement : « J’habite toujours à St-Joseph 7, à Blessens ! » Une fusion « mutualise les forces, permet d’apporter des prestations, amène des bénéfices comme un remaniement. Mais les identités villageoises demeurent. »
Le domaine St-Joseph a ceci de particulier qu’il recèle le plus ancien bâtiment de Blessens : sa petite chapelle, construite en 1684. Louis en est devenu propriétaire en même temps que tous les murs du lieu, au terme d’une incroyable procédure, à la recherche des innombrables descendants de la famille de Maillardoz. Lui et son épouse ont à cœur de prendre soin de ce lieu très particulier et de le laisser accessible à qui ressent le besoin de se recueillir. « Je ne suis pas bigot, mais il y a des gens à qui ça fait du bien ». Si, gamin, Louis était le seul à aimer le coin, depuis lors, on a le droit de penser que St-Joseph le lui a bien rendu.
Marinette