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Jacques Basler

poids lourd de la légèreté

Le sculpteur lausannois établi à Rue est d’abord un homme libre. A 81 ans, il reste l’enfant terrible qu’il a été. Il n’en a souvent fait qu’à sa tête mais, rétrospectivement, elle lui a fait prendre les bonnes décisions. Fin avril, il a inauguré une œuvre que la commune lui a commandée. Rencontre avec le créateur de la sculpture, intitulée « L’arbre de vie » : il a l’écorce épaisse et ne pratique pas la langue de bois.

« On ne se plaint pas, mais qu’est-ce qu’on rouspète ! » Malgré le mal de dos, c’est avec le sourire et un accès d’accent vaudois qu’il dit au revoir sur le pas de porte après avoir parlé pendant près de 2 heures. Une phrase qui résume bien Jacques Basler, à la fois léger et grave, humble et sérieux, détaché mais les pieds bien sur terre. Touché dans sa santé depuis une année, il attend l’embellie avant de se remettre au travail. Et le boulot, ça le connaît.

Les débuts Lausannois

« A 16 ans, j’ai fait un apprentissage chez un décorateur de vitrines et d’intérieur. A 20 ans, j’étais déjà à mon compte. J’ai donc su assez jeune ce que c’est que d’être entrepreneur. Mon maître d’apprentissage, qui n’avait que 10 ans de plus que moi jour pour jour, a été une sorte de père de substitution. Il m’a tout appris : la composition, la peinture, et la sculpture aussi en quelque sorte puisqu’il m’a envoyé prendre des cours de soudeur. Je lui dois tout ! J’ai été un décorateur plutôt coté puisque je faisais les vitrines de la rue de Bourg à Lausanne, une des rues les plus chics… J’avais à peine 20 ans, les cheveux jusque-là, je buvais un peu mes revenus, j’ai eu 3 Mercedes d’occasion avant d’avoir le permis, je faisais un peu partie des voyous de Lausanne, en tout cas des marginaux… »

Dans sa maison-galerie de Rue, au milieu d’une multitude d’œuvres d’art acquises avec le temps – il y a aussi un squelette humain, qui symbolise « ceux qui n’ont pas payé » –, Jacques Basler n’a finalement pas beaucoup changé. L’enfant qui refusait d’aller à l’école et qui était « révolté contre tout, notamment la religion » transparaît encore dans les yeux malicieux de l’octogénaire. Il y a le regard, mais l’artiste a aussi un nez, un instinct, un sens des affaires sans égal. Auteur d’œuvres très connues et médiatisées qui font « Face au vent » (ndlr : référence au nom de sa sculpture trônant sur la place Chauderon à Lausanne), il sent bien où il souffle et se laisse porter avec « un culot et une confiance inébranlables ».

« Tout le monde me disait que c’était impossible de vivre en tant que sculpteur. C’est vrai qu’il ne devait même pas y en avoir 10 dans le pays. N’empêche : à 32 ans, j’y suis arrivé. Modestement au début, mais ça a vite fonctionné ensuite. »

Jacques Basler a beaucoup bossé pour ça, de Genève au Tessin, où il « refaisait » des magasins. Avec deux enfants, il fallait « faire bouillir la marmite et ma femme travaillait aussi ».

La vie d’artiste à Rue et en Italie

Et il y a eu la maison à Rue (après avoir habité notamment à Promasens et à Ecublens).

« Un coup de foudre au moment où les banques prêtaient encore de l’argent.  C’était une ruine de 1700 sans fondations qu’on a entièrement refaite, on a quasiment construit une maison dans la maison. Les poutres au plafond sont très serrées parce qu’à l’époque, c’étaient les écuries à chevaux des Maillardoz. Adriana m’a convaincu d’en faire notre propre galerie afin de gagner en indépendance. Les critiques d’art de la grande ville m’avaient tous démoli, mais ça a tout de suite marché, tous les médias sont venus ici. Et j’ai aussi eu la chance de connaître deux gros collectionneurs, dont un qui achetait pour Credit Suisse et qui a pu m’apporter une clientèle. On ne doutait vraiment de rien avec ma femme : quand on est venu ici, il n’y avait pas de galeries à la campagne, ça n’existait pas. »

Et c’est là, dans son atelier avec vue sur le Moléson, qu’il imagine et conçoit beaucoup de ses œuvres depuis plusieurs décennies, même s’il partage son temps et son inspiration entre Rue et la Sicile, où il conserve une maison après avoir dû vendre récemment, la mort dans l’âme, un autre paradis dans les îles Éoliennes.
« Bon, assez parlé. Mon ami le peintre Kurt von Ballmoos me disait toujours, avec son accent suisse allemand (il l’imite) : « Basler, c’est bien ce que tu fais, mais simpli-fie ! » Je suis encore son conseil ! Alors maintenant, pour votre article, vous me simplifiez tout ça, hein ? Et bon courage : au cours de ma carrière, je me suis bien rendu compte que faire simple, c’est compliqué !» 

 Alexandre Chatton

La Place Jacques Basler

C’est pour rendre hommage à l’artiste et à l’entrepreneur qui a monté près de 80 expositions à Rue que les autorités communales ont décidé de lui commander la sculpture qui a été inaugurée le 22 avril dernier. Avec une surprise à la clé, révélée par le syndic Joseph Aeby à la centaine de personnes présentes en contre-bas du château : ce qu’on appelait autrefois officieusement la Place de l’Eglise devient officiellement la Place Jacques Basler. « La commande, c’était déjà flatteur. J’ai désormais une sculpture dans ma ville de naissance (à Chauderon) et une autre dans ma ville d’adoption. Mais qu’on donne mon nom à cet endroit, je ne m’y attendais vraiment pas », lâche le sculpteur, ému.

Ce samedi-là, dans leurs discours, tant le préfet de la Glâne Willy Schorderet que Jacques Basler ont évoqué la nouvelle de Jean Giono « L’homme qui plantait des arbres ». Il faut dire que la sculpture en question s’appelle « L’arbre de vie ». L’artiste tenait à ce que son œuvre évoque un thème spirituel à cet endroit, sur le chemin de l’église et en contre-bas du château, quelque chose de léger, qui ne s’impose pas (un peu plus de 2m de haut), mais qui interpelle, qu’on soit croyant ou pas. « Et puis les arbres sont intelligents, a philosophé Jacques Basler : ils s’élèvent vers le soleil, tandis que nous les hommes, nous poussons vers le sol (vers la cave)… »

Le plus beau compliment qu’il a reçu à propos de cette sculpture ? « Un ami artiste m’a dit qu’il avait l’impression qu’elle avait toujours été là. »

Avec l’Espace Butty juste au-dessus, un aménagement agrémenté d’un banc et d’un toit également inauguré le 22 avril, Rue améliore son attractivité et sa qualité d’accueil et de convivialité.