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Les corvées d’Auboranges

synonyme de besogne ou pas ?

Les corvées d’Auboranges existent depuis l’origine de la commune. Si la majorité des communes ont remplacé les tâches ancestrales – dues par les paysans au prorata de leur surface agricole – par l’engagement d’employés communaux, Auboranges a adopté cette coutume pour toute sa population. C’est ancré dans leur règlement : chaque ménage doit effectuer six heures de travaux communaux ou devra s’acquitter d’une taxe de 25.- de l’heure. Les heures peuvent être réparties sur plusieurs personnes du ménage (de plus de 16 ans) ou réalisées en totalité par un seul membre. La journée des corvées a lieu en automne afin de préparer le territoire communal à la météo hivernale. En raison de la fusion, le 2 novembre 2024 a marqué leurs ultimes corvées, la fin d’une tradition.

Rue, ce matin-là, est dans une brume épaisse. En prenant de la hauteur, celle-ci se dissipe pour laisser paraître un magnifique soleil à l’ancien local des pompiers situé sur les hauts du village d’Auboranges. Il est 8h45 quand les premiers citoyens commencent à arriver. Les brouettes, pelles, pioches et autres matériels posés à l’entrée de la place donnent le signal de la journée. Il va falloir travailler. Christophe Jaccoud, syndic, accueille ses concitoyens et rappelle dans son discours de bienvenue le but de cette ultime journée. Une soupe à la courge est offerte à midi et pour cette dernière édition, toute la population est conviée à un souper.

Une cinquantaine de personnes sont inscrites. Le conseil communal a préparé les différents groupes de manière réfléchie : les couples, les familles, les voisins ou les habitués et nouveaux arrivants sont mélangés afin de favoriser les rencontres. Durant la distribution de croissants et pains au chocolat, un contrôle des présences est effectué et les équipes sont organisées. Les citoyens se saluent, discutent et rigolent entre eux, l’ambiance est détendue et propice à faire connaissance malgré le côté obligatoire de ce rassemblement.

Patrick Daehler, conseiller communal, explique cette obligation : « Dans les groupes, nous pouvons prendre en compte les conditions physiques. Un habitant peut aussi se faire remplacer, même par une personne hors de la commune. Aucune excuse ne peut donc être acceptée, les six heures par ménage doivent être faites pour être exempté de la taxe, c’est un règlement communal.  À la veille de l’hiver, le travail effectué aujourd’hui est essentiel. La pose des piquets, des barrières à neige et le nettoyage des gargouilles sont des travaux primordiaux pour la commune. »

Christian, 42 ans participe aux corvées depuis de nombreuses années. Pour lui c’est un plaisir, un juste service à rendre à sa commune. Damien, 44 ans, a grandi à Auboranges, les corvées il les connaît. Sa compagne y participe pour la première fois. Leur sentiment est partagé sur cette obligation mais ils reconnaissent volontiers le rôle social de cette action.

Eric Denervaud, conseiller communal, vient annoncer à Mery que pour sa première participation, elle sera dans son groupe : celui des vannes d’eau. Ils collaboreront ensemble afin de purger les vannes et les hydrantes pour garantir leur fonctionnalité. Son mari, Olivier sera dans un groupe « gargouilles ». Ils expliquent leur vision de la journée : « Comme nous avons emménagé en mars, notre attente est surtout de pouvoir rencontrer des gens et de mettre des noms sur des visages. » Ils se retrouveront à 11h45, l’heure fixée pour la pause de midi et le partage de la soupe à la courge.

Christophe Jaccoud, dévoile le nom des groupes, qui donne tout de suite l’information sur la tâche à accomplir : « Nous avons créé 16 groupes qui s’appellent : « gargouilles » de 1 à 6, piquets et barrières à neige, vannes d’eau, nettoyage des bois, sentier forestier, logistique (organisation des repas), nettoyage des panneaux d’affichage, ruisseaux, et le dernier, celui des « bords de routes ». Chaque année nous avons un taux de participation avoisinant les 60% qui permet de maintenir ces différentes équipes. »

Le village d’Auboranges est en effervescence, les groupes s’éparpillent pour leur mission. On peut entendre des bruits de travaux aux différentes croisées, il suffit de les suivre pour apercevoir un groupe à l’œuvre. Le Pavé croise le chemin de deux dames armées de sacs poubelles et de gants. Il s’agit de Valérie et d’Eva, habituées aux corvées depuis plus de dix ans. Leur mission est de ramasser les déchets sur les tronçons de routes ou chemins qui leur ont été attribués : « Avec cette météo c’est magnifique. On a toujours du plaisir à participer mais quand il fait beau, c’est encore mieux. Cette tâche en plus est agréable, c’est un peu notre balade du matin. »

Quelques mètres plus loin, Timour, 21 ans et Laeticia, 37 ans, sont affairés autour d’une gargouille. Timour est né à Auboranges et les corvées il les fait depuis qu’il en a le droit, depuis ses 16 ans : « J’admets qu’hier, quand j’y ai repensé, ça m’a un peu embêté, je me suis dit que je préférerais faire autre chose. Mais maintenant que j’y suis, je suis super content et ça passe très vite. » Laeticia, elle, les a découvertes il y a trois ans : « Pour moi c’est une corvée-plaisir, mais il faut admettre que la météo fait beaucoup. L’année passée, par exemple, il faisait froid, c’était moins agréable. »

À l’orée de la forêt, le groupe « copeaux » est occupé à restaurer le sentier finlandais (ndlr : la photo mystère du numéro de septembre du Pavé !). À l’aide de leurs pelles et de leurs brouettes, Alexandre (première participation), Christoph (troisième participation) et Jan (quatrième participation) chargent les copeaux afin de les répartir sur le sentier. Alexandre va assurer les six heures de travail aujourd’hui : « Pour dire, j’ai même pris congé pour pouvoir être là. »  Jan est convaincu du bien-fondé de cette journée : « Cela devrait être mis en place partout et même plus que six heures par année. Quand on se promène, on tombe à chaque fois sur des déchets. Si cela était mis en place partout et régulièrement, il y aurait sans doute moins ce problème. »

Au loin, Valérie et Eva rentrent de leur « balade » et remontent la route en roulant deux pneus laissés à l’abandon dans la forêt, comme pour leur laisser un souvenir de cette dernière édition. Les participants, par leur travail physique et social, permettent à Auboranges de se préparer à l’hiver de manière sereine. Chacun peut ainsi repartir de cette journée avec le sentiment du devoir accompli et, probablement, quelques nouvelles amitiés en bonus.

Sophie Bosson