Sélectionner une page

Francis Dénervaud

ou l’art de faire rouler des mécaniques

Habitant les hauts d’Auboranges, Francis Dénervaud, ancien chauffeur du bus scolaire, nous reçoit chez lui.

Cher Francis, comment es-tu arrivé à Auboranges ?

Alors, je suis né ici en 1952, dans la maison même où je vous accueille. Je suis le cadet de cinq enfants. Bien sûr, beaucoup de choses ont changé depuis. Nous n’avions pas l’eau courante, il n’y avait pas de toilettes à l’intérieur : il fallait sortir et se rendre dans un cabinet au-dessus du creux à purin, comme partout à l’époque ! Mes parents exploitaient un petit domaine : on avait quatre vaches, quelques cochons, quelques poules. La vie était simple, on n’était pas tellement aisés.

Quel est ton parcours de formation ?

J’ai fait mes premières classes à Auboranges, avec le maître d’école Arthur Renevey. Nous étions environ une trentaine d’enfants dans la même classe sans distinction de degrés. Nous avions pour tout support de cours une ardoise. C’est un de mes premiers souvenirs. Le samedi, on allait au bassin et on nettoyait l’ardoise avec l’éponge ou la petite brosse. Il ne fallait surtout pas la casser, bien sûr, parce que c’était précieux. À l’époque, nous passions tout notre temps libre à aider : papa coupait du bois en forêt, nous le préparions. On faisait les foins. On allait aux champs. Nous n’avions pas de tracteur mais un cheval. Comme j’étais le plus petit, je devais le tenir pendant les travaux : lorsque les taons le piquaient, je me faisais secouer et emporter par la bête. Je n’en garde pas un bon souvenir.

Après notre déménagement à Bouloz en 1963, j’ai fréquenté l’école régionale, à Rue. Je l’ai suivie une année. C’était une sorte d’école secondaire agricole. M. Louis Mugny y enseignait. Il était schtrame ! Même avec 5,5 de moyenne, je n’étais pas épargné par les coups. Puis, l’école a fermé. Je me suis alors inscrit à l’école secondaire technique à Romont. Je ne connaissais pas ce milieu citadin. On était de la campagne. En ville, on n’avait pas le sentiment d’être à notre place …

Comment as-tu choisi ton apprentissage ?

Un peu par hasard. Mes parents avaient entendu qu’un garagiste s’installait à Vuisternens-devant-Romont, Antoine Guex, et cherchait un apprenti. Je me suis présenté et une nouvelle vie a commencé pour moi : l’apprentissage d’un métier que j’ai exercé avec beaucoup de passion et le sentiment d’appartenir à une seconde famille, tant mon patron et son épouse ont été bienveillants avec moi. À cette époque, il m’était arrivé de remplacer M. Guex dans le bus scolaire. Je me souviens des gonfles sur la route de Sommentier en hiver. À 18 ans, comme j’avais le permis et la voiture, la vie s’ouvrait devant moi. Avec une bande de copains, nous sommes partis aux 24 heures du Mans, en dormant dans nos voitures.

Le génie de la maison

Et cette maison, qu’est-ce qu’elle évoque pour toi ?

Pendant que nous habitions à Bouloz, mes parents louait cette fermette pour 100 francs par mois. Mais tous les locataires n’étaient pas de bons payeurs. Alors, on devait leur demander de partir. Un jour, en 1965, la maison a même failli partir en fumée : le feu s’est déclaré alors que personne ne s’y trouvait, heureusement. Aucun voisin n’a pu apercevoir de fumée non plus : c’était la journée de la « banque du lait », tous les paysans étaient au bistrot. Le dernier locataire avait bourré de carton et de papier les deux fourneaux à molasse avant son départ et le locataire suivant avait décidé d’y mettre le feu pour tempérer l’endroit, avant de sortir. La chaleur fut tellement violente qu’elle a fendu le fourneau de la petite chambre en y répandant le feu. Heureusement, les portes et les fenêtres ont tenu hermétiquement les flammes confinées dans cet espace. Le lendemain matin, le feu était éteint sans autres dégâts, grâce au manque d’oxygène. On avait tellement de misères avec cette maison, qu’à l’époque, mon père avait dit : « Oh, c’est con, qu’elle n’ait pas pu griller !» Il aurait retiré un peu d’argent. Maintenant, je me dis : Mais quelle bénédiction d’avoir un cadre de vie tellement extraordinaire !

De Bouloz, j’ai quitté le nid familial pour emménager avec Béatrice à Mézières (FR). En dépit du confort de notre appartement, nous avons décidé de revenir ici le 7 juin 1975. Je m’en souviens encore. J’avais pu emprunter un camion à l’entreprise qui m’employait. Milon, le voisin, avait fauché les foins! Ça sentait bon! On s’est dit qu’on allait retaper la baraque petit à petit. On n’avait pas un rond mais on était plein d’espoir et d’énergie! On a bossé, avec un peu tout le monde: les frères, les amis, les voisins. La première étape a été de faire une vraie salle de bain.

Le samedi était dédié aux travaux de la maison. Il restait le dimanche pour les activités familiales. Après la messe, les Dénervaud défient les sommets environnants sur lesquels ils aiment pique-niquer.

Garagiste et chauffeur du bus scolaire

Comment es-tu devenu chauffeur de bus scolaire?

Alors que j’étais employé chez EFSA à Châtillens, je voulais me mettre à mon compte. Il me fallait cependant une garantie financière. C’est à ce moment que le responsable des écoles m’a proposé de postuler pour cette activité, qui se combinait à merveille avec mes objectifs. Encore une fois, je partais de rien. J’ai alors repris contact avec mon ancien patron, à qui j’ai acheté mon premier bus. L’aventure des transports scolaires a ainsi débuté en 1986 et a duré 30 ans, en parallèle à mon activité de garagiste indépendant. Mon premier mandat avait été adjugé à 40’000 francs pour l’année. Ce montant couvrait tout juste mes frais, puis il a évolué au fil des années. J’ai connu de belles années et des années plus difficiles. J’ai passé à travers ces avanies. Béatrice me remplaçait de temps en temps. Tout allait bien. Et puis un jour, en 2015, alors que j’étais à un arrêt pour emmener une pitchounette de l’école enfantine, je lui demande : « Comment ça va? » Elle me répond: « T’es un vieux con ! » Surpris, je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu me racontes ? » « C’est maman qui dit ça. » C’est une leçon de vie : nous sommes tous, à un moment donné de notre existence, le con de quelqu’un. … Pour moi, la boucle était bouclée. La fin de l’histoire est là. J’ai fini en beauté !

Depuis 2016, Francis savoure sa retraite avec son épouse Béatrice, entouré de ses enfants Eric, Corinne et Valérie et de leurs conjoints et de ses petits-enfants chéris, Aurélien, Emilien et David.

Nathalie Defferrard Crausaz