Louis Surchat
le saut dans la vie d’adulte
Dans ce nouveau numéro printanier, vous constaterez que nous avons fait évoluer la page anciennement nommée « Nos jeunes ont la parole » pour la consacrer aussi bien aux adolescents qui nous racontent leur passion qu’aux habitants, plus âgés, qui nous narrent leur jeunes années. C’est ainsi que nous entamons le virage de cette page – rebaptisée pour l’occasion « Jeunes d’hier et d’aujourd’hui » – accompagnés de Louis Surchat, citoyen de Blessens.
En arrivant, Monsieur Surchat nous accueille chez lui, dans la maison familiale. Il s’installe à la table de la cuisine et y dépose son album photo ainsi que les coupures de journaux de l’époque. Le récit de ses souvenirs de jeunesse peut alors commencer.
Il naît dans une fratrie de deux enfants, en 1931. Il passe toute sa vie à Blessens, se marie en 1957 et de cette union naquirent quatre filles.
Comment s’est passé votre enfance ?
« Tout simplement, comme pour la plupart des enfants. Nous allions à l’école tout près, elle était encore à Blessens. » Viennent ensuite l’école secondaire, puis l’école d’agriculture ainsi que le service militaire, qu’il effectuera en février 1951. « L’école d’agriculture se passait à Grangeneuve, pendant deux hivers successifs, d’octobre à fin avril. »
Durant son adolescence, Louis Surchat n’a jamais eu l’envie de quitter la ferme. Maintenant nonagénaire, il considère rétrospectivement qu’il était un enfant « moyennement sage ». Pourtant, il n’a jamais douté un seul instant de son envie de devenir agriculteur ni d’effectuer son armée parmi la cavalerie : « Pour moi, c’était sacré d’habiter et de travailler à la campagne. » Faire l’armée était manifestement aussi une évidence, d’autant que Louis Surchat a pu accomplir son obligation de servir en conservant le lien à la terre, en montant sur un cheval.
« Mon service militaire, je l’ai effectué dans la cavalerie. Je faisais des concours hippiques tous les dimanches. J’en ai fait pendant une dizaine d’années. J’allais un peu dans toute la Suisse romande. Nous nous y rendions à cheval puis, quand nous allions en Suisse allemande, nous embarquions les chevaux en camion. J’ai participé à ceux de Morges, Palézieux, Savigny, Courtepin, Echallens, etc. Je suis aussi allé au concours hippique à Interlaken. »
Est-ce que vos parents possédaient déjà la ferme ?
Oui, mon grand-père vivait déjà ici et je crois bien que mes arrière-grands-parents aussi.
Monsieur Surchat nous explique que dans sa famille, ils étaient agriculteurs de génération en génération. La passion du cheval lui est venue tout petit. Son grand-père élevait des chevaux, principalement pour travailler à la ferme (travail aux champs, coupe de bois, etc.) car, en ce temps-là, le tracteur n’existait pas. Certains chevaux pouvaient également être vendus. La plupart étaient des « Franches-Montagnes », originaires du Jura, mais il pouvait également y avoir d’autres races indigènes.
« Pour les concours, j’ai toujours eu le même cheval. Il s’appelait « Herle », c’était une race allemande. »
Vous l’aviez acheté uniquement pour les concours ?
Non, il appartenait à l’armée.
Comment se passait le service militaire dans la cavalerie ?
Nous achetions le cheval à moitié prix. On se déplaçait à la « Remonte » à Berne pour miser le cheval.
Comment avez-vous appris le saut d’obstacle ?
Je l’ai appris pendant le service militaire. Ensuite, je m’entraînais à la maison et avec les copains de l’armée.
Vous avez même gagné des concours ?
Oui. J’ai été champion suisse pendant plusieurs années.
L’album photographique sur la table de la cuisine donne un aperçu du palmarès de notre interlocuteur : Louis Surchat a notamment obtenu le 1er prix au championnat national en 1955 à Interlaken et le 1er prix au championnat romand en 1956, qui se déroulait à Palézieux.
Même après avoir arrêté les concours, à la suite du décès de son cheval, Monsieur Surchat s’est longtemps et fidèlement rendu à chaque édition du concours hippique de Palézieux, jusqu’à il y a deux ou trois ans. Pour le plaisir et, sans doute, pour se remémorer ses beaux souvenirs et retrouver quelques sensations par procuration.
Avant notre rencontre, Monsieur Surchat ne pensait pas intéresser nos lecteurs, ajoutant qu’il n’avait – et nous le citons – « rien fait d’extraordinaire. » Pourtant, son récit n’a rien de banal. Il a connu le travail des champs avec les chevaux, la prestigieuse cavalerie de l’armée suisse et a été champion national. Il est le témoin d’une époque qui n’existe plus.
Selon Karlfried Graf Dürckheim, « l’extraordinaire se trouve dans la profondeur de l’ordinaire. » Si votre jeunesse ne date pas d’hier, si vous pensez qu’elle a été celle de tout le monde à la même période, racontez-la nous. Elle contient – forcément – des joyaux que nous aimerions délicatement dévoiler dans cette page. Offrez ce cadeau aux lecteurs de 7 à 107 ans du Pavé, laissez une trace de votre mémoire, partagez vos souvenirs, ils n’en seront que plus précieux. Faites-nous signe, nous serons ravis de venir nous asseoir dans votre cuisine.
Christelle Chillier
Les infos en plus:
L’armée suisse a été la dernière à renoncer sa cavalerie, au printemps 1972. Un petit nombre de chevaux sont encore utilisés, notamment dans la logistique, mais « au front », ils ont été remplacés par les chars de combat. Les soldats à cheval s’appelaient « Les dragons » et chaque monture avait droit à son propre livret de service.
À présent que le tracteur est devenu omniprésent dans le travail de la terre, le cheval des Franches-Montagnes est l’unique race suisse à subsister.