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La vie imaginaire de mes ancêtres anonymes

Épisode 2 : Maudit alambique et mystère alchimique

Le village de Diboing a été vigoureusement secoué par une explosion nocturne. Les habitants précipitamment sortis de leurs lits, jetés dans la rue par la peur et la curiosité, déambulent en tenues hasardeuses, s’interrogeant sur l’origine du fracas.

Les hurlements d’Adélie – sourde mais pas muette – eurent tôt fait de guider les villageois en direction de la forge et de la ferme de la famille Naferiel. L’ancienne institutrice, très bigote, alternait frénétiquement cris stridents et récitation de chapelets. Entre l’antre du forgeron et l’exploitation familiale fleurissaient une collection de remises et d’appentis. Certains faisaient office de clapier à lapins, d’autres avaient un usage assez indéterminé. L’un de ces abris bric-à-brac était en flamme. Le jeune Alcide Naferiel s’agitait devant le sinistre, s’employant à lancer des seaux d’eau sur les flammes. Ses concitoyens firent la chaîne depuis la grande fontaine proche, pour lui prêter main forte. Les flammes n’insistèrent pas face à cette massive offensive liquide.

Après le vacarme et le feu, un autre élément vint titiller furieusement les narines de tout le monde : une insoutenable odeur âcre donnait envie de vomir aux pompiers improvisés. C’était un mélange de parfum de gnôle et de pourriture. Alcide bégayait nerveusement des explications hachées et en pagaille. Il était noir de suie des pieds à la tête, sa tignasse, sa barbe et tous ses poils étaient roussis. Peu à peu, on parvint à remettre ses phrases et ses mots dans le bon ordre, pour arriver à un récit à peu près cohérent. Tout ce pataquès était dû au fait qu’Alcide avait installé un alambique de sa fabrication dans l’une des cahutes. Par discrétion, c’est de nuit qu’il se livrait à son activité clandestine. Équipé de 2 lampes à pétrole pour y voir clair. Et comme il faisait un peu frisquet, il avait pris l’habitude de faire une flambée dans une vieille lessiveuse. Il avait déjà obtenu 50 litres d’excellent alcool de beûtchïn et s’était lancé dans une variation parfumée avec 10% de gratte-cul. Est-ce que les fruits, de nature sauvage, s’étaient insurgés contre ce mariage forcé ? Est-ce qu’une lampe était tombée ou est-ce qu’une braise s’était échappée de la lessiveuse ? Mystère. Toujours est-il que l’installation lui avait sauté à la figure. L’alcool avait brûlé et Alcide gémissait en songeant à tous ces flacons qu’il n’écoulerait pas sous le manteau. Les résidus de distillation, stockés à côté de la remise, avaient partiellement flambé aussi et dégageaient à présent une fumée nauséabonde qui se répandait dans tout le village.

Une fois l’émotion quelque peu retombée, Monsieur le Maire invita tout le monde à prendre un remontant à l’auberge. L’incendie était éteint et il n’y avait pas de blessé à déplorer. Le mieux était de se réconforter avant de retourner se coucher. Anatole, le père d’Alcide, profita que les habitants s’éloignaient du domaine pour alpaguer son fils et le morigéner sévèrement. Il avait fièrement servi l’armée nationale et travaillé dans les douanes avant de revenir au village fonder une famille. Il ne tolérait pas que ces rejetons s’écartent ne serait-ce que de trois millimètres du droit chemin qu’il avait tracé. Saperlipopette !

Le lendemain matin, les uns et les autres eurent bien de la peine à se lever et à s’atteler à leurs activités. Entre le manque de sommeil, les émotions et la gêne constante occasionnée par les odeurs qui continuaient de parfumer l’ambiance, l’humeur était maussade et les yeux cernés. Pourtant, personne n’eut le loisir de profiter du calme bien longtemps. Une certaine effervescence pris naissance du côté de l’école et se propagea de rue en rue. La vieille Adélie avait disparu ! Ses enfants s’étaient étonnés de ne pas la voir apparaître à l’heure du déjeuner. Ils s’étaient rendus dans son petit logement à l’étage : elle n’y était pas. Toute la famille était à présent mobilisée pour mener des recherches, ameutant peu à peu les voisins, qui se mirent à leur tour à inspecter chaque coin et recoin et à questionner le voisinage. Par réflexe, on criait « Adélie » à qui mieux mieux… et en pure perte, puisqu’elle ne risquait en aucun cas d’entendre qui que ce soit. De demi-heure en demi-heure, l’inquiétude montait d’un cran. À son âge vénérable, cette mystérieuse absence n’augurait rien de bon. Si elle s’était trouvée en fâcheuse posture, elle n’avait possiblement pas eu les forces et la présence d’esprit pour faire face. Il était bientôt midi et toujours pas d’Adélie. Certains, ne sachant plus où chercher, s’étaient mis à prier à tout hasard. Le fils du boulanger, le plus jeune, prénommé Achille et qui louchait fortement, déboula soudainement en courant, proclamant la délivrance : « Je l’ai trouvée, je l’ai trouvée » ! Mais où donc l’avait-il dénichée ? Vous le saurez quelques jours avant Noël, en lisant la 13e édition du Pavé.

Marinette Boillat Chatton

Quatre cartons ont échoué chez moi en provenance de ma maison d’enfance. Ils recèlent les photos accumulées par mes parents, mes grands-parents et mes arrière-grands-parents. Me voilà face à des albums pleins d’inconnus d’un autre siècle, qui ont – de près ou de loin – un lien de parenté avec moi. J’ignore tout de ces aïeux, je ne sais rien de leur vie. Mais c’est très amusant d’imaginer leur lointain quotidien. Pour pimenter l’exercice, mes collègues de la rédaction ont ajouté un jeu : je dois placer six mots dans ma petite histoire. Saurez-vous deviner lesquels ? Réponse dans la prochaine édition.