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Insectes venus d’ailleurs

quand de nouveaux voisins s’invitent en douce

Ils n’ont pas de papiers d’identité, pas de bagages non plus, et pourtant ils franchissent les frontières comme personne. Dans une cargaison de bois, sous une palette de plantes ou parfois même dans un pneu oublié, certains insectes font le voyage sans billet. À leur arrivée, un climat plus doux qu’autrefois leur ouvre les portes. Et les voilà installés chez nous, parfois à demeure.

Le canton de Fribourg n’y échappe pas. Trois noms reviennent souvent lorsqu’on parle d’espèces venues d’ailleurs : le frelon asiatique, le moustique tigre et le scarabée japonais. Trois petits acteurs capables de bouleverser en profondeur nos écosystèmes. Leur présence dérange autant les chercheurs que les habitants, car ils rappellent à quel point la nature est fragile… et à quel point nous le sommes aussi.

Le frelon asiatique : discret mais efficace

De loin, on jurerait voir un frelon ordinaire. Mais en s’approchant, les différences sautent aux yeux : silhouette plus sombre, abdomen orangé, comportement beaucoup plus agressif. Le frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax) est arrivé en Europe par accident au début des années 2000. Depuis, il s’est taillé une réputation de redoutable prédateur d’abeilles.

Une colonie installée près d’un rucher peut décimer les abeilles en quelques jours seulement. En Suisse, on le connaît depuis 2017. À Fribourg, ses premiers nids sont apparus en 2022, souvent perchés haut dans les arbres ou accrochés sous les toitures. Chaque nid abrite plusieurs milliers d’individus. Pour l’homme, le danger est limité, sauf en cas de proximité directe. Mais pour les abeilles et les apiculteurs, c’est une autre histoire.

Les autorités multiplient les surveillances et appellent la population à signaler toute observation. Une photo, une localisation, et les spécialistes peuvent intervenir rapidement. Un conseil, cependant : ne jamais agir seul. Le frelon asiatique défend son territoire avec une efficacité redoutable.

Le moustique tigre : un clandestin bien installé en Europe

À peine plus grand qu’un ongle, rayé de noir et de blanc, le moustique tigre (Aedes albopictus) n’a rien d’impressionnant. Pourtant, il est devenu en quelques décennies l’un des insectes les plus surveillés de la planète. Ses piqûres sont banales, mais peuvent transporter des virus comme la dengue, le chikungunya ou le Zika.

Son arrivée en Europe s’est faite discrètement, par le transport de pneus usagés et de plantes. Au Tessin, il a trouvé depuis longtemps des conditions idéales pour prospérer. Et, petit à petit, il gagne du terrain vers le nord. Le canton de Fribourg n’a pas encore de foyers confirmés, mais la menace est bien réelle : nos étés plus longs et nos hivers plus doux lui ouvrent la voie.

Le problème, c’est sa capacité à profiter de la moindre flaque d’eau. Une soucoupe oubliée sous un pot de fleurs, un seau resté dehors, une gouttière encrassée : autant de nurseries pour ses larves. La lutte, ici, passe par les gestes quotidiens. Vider, couvrir, nettoyer. Cela paraît dérisoire, mais multiplié par des milliers de foyers, c’est une arme puissante.

Le scarabée japonais : beau à regarder, terrible à subir

C’est sans doute le plus trompeur des trois. Avec son éclat vert métallique et ses reflets cuivrés, le scarabée japonais (Popillia japonica) ressemble à un bijou. Mais derrière cette beauté se cache un redoutable ravageur. Son menu est interminable : plus de 300 espèces de plantes. Fruits, légumes, vignes, gazons… rien ou presque n’échappe à son appétit. Adulte, il grignote les feuilles jusqu’à les réduire à des dentelles. Sous forme larvaire, il s’attaque aux racines.

Détecté pour la première fois en Suisse en 2017, au Tessin, il continue de progresser lentement. Pour l’instant, Fribourg est épargné. Mais les spécialistes le savent : une fois installé, il est quasiment impossible à éradiquer. On peut seulement espérer le contenir. Et cela demande de la vigilance : surveiller les plantes, éviter de transporter de la terre ou des végétaux contaminés, signaler immédiatement tout spécimen suspect.

Comment réagir ?

Dans cette bataille, chaque habitant peut devenir un allié précieux.

  • Frelon asiatique : annoncer le frelon ou le nid sur la plateforme frelonasiatique.ch/fr/.
  • Moustique tigre : annoncer la présence sur la plateforme. www.moustiques-suisse.ch.
  • Scarabée japonais : signaler toute observation au Service phytosanitaire cantonal.

Trois règles simples valent pour tous les cas :

  1. Photographier clairement l’insecte ou le nid.
  2. Noter le lieu, la date et l’heure.
  3. Ne pas intervenir soi-même.

Au-delà des insectes, un miroir de nos pratiques

Ces espèces exotiques ne débarquent pas par hasard. Elles voyagent grâce à nos échanges commerciaux, profitent de nos habitudes et s’installent dans des écosystèmes que nous avons déjà fragilisés. Leur présence nous renvoie à nos propres contradictions : dépendance aux pesticides, sols bétonnés, biodiversité négligée.

Dans le canton de Fribourg, la nature change. Entre collines boisées, prairies et cultures agricoles, elle s’adapte, parfois résiste, mais elle se transforme. Ces insectes, loin d’être de simples intrus, nous rappellent que le monde est ouvert, que nos frontières sont illusoires face aux forces de la nature et du commerce.

La réponse ne viendra pas seulement des autorités. Elle se joue dans nos gestes quotidiens : vider un seau après la pluie, repenser un jardin, observer un insecte inconnu plutôt que l’écraser. Ce sont des détails, mais mis bout à bout, ils composent une vigilance partagée.

Et peut-être est-ce là l’essentiel : ces nouveaux venus, en nous obligeant à regarder différemment, nous incitent à réapprendre la patience, l’observation et le respect. À comprendre que la frontière entre « chez nous » et « ailleurs » n’existe pas vraiment.

Franco de Andrea